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Un doublet hors du commun monté sur une bague de haute joaillerie
Figure 1 : Bague confiée au LFG pour analyse (photo O.Segura)
Curiosité
Le LFG a pu récemment faire l’étude d’une bague en or blanc, ornée d’une pierre verte ovale
Mesurant 20.2 x 14.7 x 8.6 mm environ ressemblant à une émeraude de belle couleur, accompagnée d’un pavage de petits diamants. L’ensemble est assez spectaculaire (Figure 1).
Figure 2 : zones d’accroissement légèrement ondulées x 80 (Photo A.Droux)
La pierre centrale présente des zones d’accroissement parallèles bien nettes, légèrement ondulées mais presque droites (figure 2), visibles à l’œil nu et certainement à la loupe, sous la table et la couronne. La culasse présente des givres composés de gouttelettes facilement visibles à la loupe (figure 3). Le tout évoque les voiles d’un synthétique par dissolution anhydre. A fort grossissement, on peut cependant discerner que ces gouttelettes sont en réalité de petites cavités avec des formes géométriques relativement régulières. Certaines d’entre elles laissent apparaître très nettement des bulles. La culasse est donc une gemme naturelle, malgré son apparence trompeuse.
Figure 3 : les givres de « gouttelettes » sont en réalité des inclusions biphasées liquide – gaz x 80 (Photo A.Droux)
Au niveau du feuilletis, on peut distinguer en quelques endroits une ligne de séparation régulière
faisant probablement le tour complet de la pierre (figure 4). Cette ligne est largement cachée dans la
sertissure, et n’apparaît que dans un seul segment du feuilletis, où elle n’est visible qu’à la binoculaire. Ceci évoque un plan de séparation mais il n’est pas coloré, contrairement à ce que l’on verrait dans un triplet émail vert.
Figure 4 : Plan de séparation visible par la couronne. X 30 (Photo A.Droux)
À travers la table, se distinguent de petites tâches de couleur noire, certaines quasi hexagonales, toutes réparties sur un plan. Ceci laisse supposer la présence de colle (figure 5). Seule la couronne apparaît rouge sous le filtre de Chelsea.
Figure 5 : Taches noires provoquées par les bulles dans la colle de ce doublet. X 40 (Photo A.Droux)
Sous le rayonnement ultraviolet, on peut constater que la réaction de la partie supérieure et inférieure de la pierre ne sont pas semblables. La partie supérieure est inerte, alors que la partie inférieure présente une faible luminescence bleutée aux UVC, un peu laiteuse. L’ensemble demeure inerte aux UVL.
Il s’agit donc clairement d’un doublet (Webster 1983 et O’Donoghue, 2006). L’indice de réfraction n’est pas mesurable sur la table, les griffes recouvrant la table, pas plus que sur la culasse.
Figure 6: spectre Raman de la couronne comparé à un béryl de référence de la collection du LFG
L’identification des deux matériaux passe donc par une analyse à la microsonde Raman, seule capable de fournir une mesure objective rapide et à distance dans ce cas difficile.
Le spectre obtenu sur la table est comparable en tous points à celui du béryl et a été comparé à celui d’une émeraude de référence de la collection du Laboratoire (LFG00011). Quant à celui obtenu sur la culasse, il a été comparé à l’échantillon LFG00027 et correspond à celui de la…topaze! (Figures 6-7). Les quelques différences remarquables sont probablement dues à l’orientation différente des échantillons lors de la mesure. Nous avons donc un doublet béryl / topaze pour le moins original.
Figure 7 : spectre Raman de la partie supérieure, en haut et inférieure, en bas, de la pierre centrale verte, prouvant qu’il s’agit de béryl et de topaze.
Il reste à mettre en évidence la nature exacte de la matière composant la couronne : sommes- nous en présence de béryl naturel ou de béryl synthétique ? L’inspection à la binoculaire montre les figures de croissance, très semblables à celles observées dans les émeraudes synthétiques hydrothermales russes (voir par ex. Schmetzer, 1996). Une étude en spectrométrie infrarouge permet de le prouver par une méthode indépendante de l’observateur. Le problème est que nous étions dans l’obligation de faire passer le faisceau au travers des deux matières, vu le type de sertissure. (Spectre de la figure 8).
Figure 8: Spectre obtenu dans l’infrarouge à travers les deux matières du doublet
Il est donc nécessaire de comparer ce spectre avec des spectres de référence de la banque de
données du LFG (figure 9)
Figure 9: comparaison avec différents spectres infrarouges du LFG : LFG00027 : topaze ; LFG00011 : émeraude naturelle ; LFG00026 : émeraude synthétique type hydrothermal.
Les spectres de référence choisis sont : un spectre de topaze (LFG00027), un spectre d’émeraude naturelle (LFG00011), et un spectre d’émeraude synthétique hydrothermale (LFG00026).
La comparaison laisse apparaître des similitudes, comme par exemple une absorption notable entre 3000 et 4000 cm – 1 pour la topaze et l’émeraude, liée à l’eau des inclusions fluides dans les canaux structuraux (Schmetzer, 1996). Il s’agit d’une particularité qui se retrouve logiquement dans notre doublet. Le grand pic développé vers 4803 cm-1 est provoqué par l’ion hydroxyle OH- présent dans la topaze (Shinoda et Aikawa, 1997).
On aperçoit aussi une absorption en épaulement vers 4050 cm-1, que l’on trouve classiquement dans les synthèses hydrothermales russes (Stockton, 1987), ainsi qu’une absorption importante vers 2320 cm-1 environ décrite dans les synthétiques hydrothermales russes (Koivula et al p.34, 1996). Celle-ci est liée à de faible quantité de CO2.
Trois absorptions sont particulièrement remarquables : vers 5275, 5450 et 5100 cm -1 environ.
Elles se retrouvent dans le spectre de l’émeraude synthétique hydrothermale mais leurs formes et leurs amplitudes sont très différentes de celles des émeraudes naturelles. Par exemple, le pic vers 5275 cm-1 est beaucoup plus développé dans les émeraudes naturelles (Nassau, 1980). Il est dû à l’eau de type II, lié à une teneur relativement importante en ions alcalins. Dans la pierre étudiée, celui-ci est à peine plus développé que les pics vers 5450 et 5100 cm-1. L’apparence rouge de la couronne sous le filtre de Chelsea et la présence de Cr en fluorescence X (non détaillée ici) prouve qu’il s’agit d’une émeraude.
Ses particularités spectrométriques prouvent que c’est une synthèse de type hydrothermal. Enfin, ses figures de croissance portent à croire que c’est une synthèse de type « russe » (Schmetzer, 1996).
Il est aujourd’hui de moins en moins courant de rencontrer au LFG des doublets, ou ceux- ci ne se retrouvent habituellement que sur des bijoux anciens. Quant à l’association topaze – émeraude synthétique, cela relève simplement de l’exception. Le montage du bijou ainsi que le type de sertissure très original suggèrent fortement une volonté de rendre difficilement accessibles certains éléments d’identification de la nature de la pierre, notamment du joint du doublet et de l’indice de réfraction des deux matières. Ceci doit appeler le lecteur à la plus grande prudence quant à la nature des gemmes rencontrés sur les bijoux : les doublets sont toujours sur le marché…
Références bibliographiques
- O’Donoghue M. (2006): Gems: Their Sources, Descriptions and Identification. Sixth edition, Butterworth-Heinemann, London, pp.531-544.
- Webster R. (1983): Gems, their sources, descriptions and identification, fourth edition,
- Butterworths & Co, London, pp. 457-468.
- Schmetzer K. (1996): Growth method and growth-related properties of a new type of
- Russian hydrothermal synthetic emerald, Gems & Gemology, Vol. 32, No.1, pp. 40-43.
- Shinoda K., Aikawa N. (1997): IR-active orientation of OH-bending mode in topaz, Physics and Chemistry of minerals, Vol. 24, pp. 551-554.
- Stockton C. M. (1987): The separation of natural from synthetic emeralds by infrared
- spectroscopy, Gems & Gemology, Vol. 23, No.2, pp. 96-99.
- Koivula J.I., Kammerling R.C., DeGhionno D., Reinitz I., Fritsch E., and Johnson M.L. (1996): Gemological investigation of a new type of Russian hydrothermal synthetic emerald. Gems & Gemology, Vol. 32, No.1, pp. 32-39.
- Nassau K. (1980): Gems made by man, Chilton Books Co., Radnor, PA, pp. 132-134.